Voici un païen, un haut fonctionnaire royal à la cour d’Hérode, qui met toute sa confiance en Jésus. Le cœur de cet homme est en larmes car son fils est à l’article de la mort ; la souffrance lui a dénudé le cœur et la foi a envahi tout son espace intérieur. « Va, ton fils est vivant », lui déclare Jésus. Et le père de l’enfant croit sans hésiter. Foi et vie ont partie liée ; bien plus, « la véritable foi ne peut qu’être pascale » écrit Y.M. Blanchard. C’est sans doute pourquoi nous lisons cet épisode dans la quatrième semaine de carême. D’ici peu, le Fils unique de Dieu franchira l’abîme de la mort pour en guérir l’humanité. Et le Père le ressuscitera. Que les épreuves aiguisent en nous le don de la foi pascale reçue de Dieu. Nous recueillerons les fruits de la victoire du Seigneur, pour notre joie et celle du monde.

L’homme semble résigné. Cela fait 38 ans que les autres passent avant lui ! Notre homme ne vit pas, il survit, comme nous parfois. Et Jésus vient briser le cercle vicieux dans lequel il est enfermé pour le relever, afin qu’il marche et devienne sujet de sa propre vie, guidé par le Maître de la Vie. Seul Jésus, - de surcroît ce jour du sabbat -, peut oser dire ces paroles audacieuses : « Prends ton brancard ! » car le Christ lui-même portera sa croix, en homme libre, et marchera jusqu’au Calvaire, lieu du don total. Le premier, avant nous, il est descendu dans les eaux de la mort. Le premier, il en est remonté victorieux pour nous donner cette vie que lui seul peut nous offrir : le Salut, signifié pour cet homme par un relèvement complet. Par sa grâce, fort de sa victoire, nous sommes tous relevés. 

Merveilleuse page d’évangile, où Saint Jean nous dit l’amour du Père pour le Fils et l’attachement filial du Fils pour le Père. Tous deux ne font qu’Un, et le Fils reçoit tout de son Père mais ne retient rien pour Lui-même. Bien au contraire, Il brûle de nous communiquer cette intimité, qui prend sa source dans l’amour passionné du Père et nous fait devenir fils adoptifs par pure grâce. Comme nous sommes loin de cette image, parfois véhiculée, d’un dieu hiératique et lointain, indifférent au sort des hommes ! Ici, Dieu partage tout avec nous en son Fils, et cela nous concerne dès maintenant. Par la foi à la Parole ultime du Père – le Christ Lui-même – nous avons part dès aujourd’hui à la divinité de Celui qui a pris notre humanité, et à la sainteté incandescente de Dieu. Alors oui, la Vie éternelle l’emporte sur toute mort.

Lorsque nous pensons au témoignage, nous avons tendance à penser à nos propres paroles qui, censées rendre témoignage au Christ, rendent souvent plutôt témoignage à nous-mêmes ! Par exemple, les récits individualistes et valorisants, qui attirent l’attention plus sur nous-mêmes que sur le Christ. Dans ce passage d’évangile, Jésus parle du témoignage de Jean-Baptiste, de celui de son Père, et de celui de ses œuvres. Du coup, nous voyons que la question de témoignage n’est pas une affaire solitaire, ni une affaire de paroles seulement ! Plusieurs rendent témoignage au Fils, plusieurs se passent le relais, le « témoin », comme lors d’une course.  Autant de témoins, autant de témoignages, donc autant d’horizons nouveaux. Alors, faisons confiance à cette diversité qui dépasse largement tout ce que nous pourrons en dire !

2000 ans après, il nous est facile de répondre : oui, nous connaissons le Christ, nous savons que ce scénario se terminera par la Passion et la Résurrection. Nous savons tout cela par cœur ! Nous pouvons donc passer notre examen ! Et pourtant il s’agit moins de connaître des choses sur le Christ, que de le connaître lui-même. Mais lorsque nous essayons de le connaître, nous découvrons qu’il nous échappe… et c’est ainsi que nous avançons dans notre connaissance de lui ! L’évangile dit : « personne ne mit la main sur lui » : ces paroles sont ô combien vraies pour nous - au sens figuré !

Que l’Esprit nous aide à entrer dans cette connaissance toujours en évolution. Le mystère du Christ reste ouvert, toujours à creuser, mystère pascal de vie donnée.

Voilà ! Tout est dit ! La boucle est bouclée. Chacun a exprimé sa pensée sans chercher à comprendre, à écouter. Et chacun part s’enfermer, satisfait de ses positions, prêt à les fortifier et même à aller jusqu’à tuer si nécessaire. Personne n’a écouté ? Si, les gardes ! Ils reconnaissent la puissance de la parole de Jésus. Eux aussi sont rentrés chez eux le soir, mais ils avaient changé. Quelque chose les travaillait. La Parole de Jésus est unique, ils y entendent une nouveauté, ils y perçoivent une présence qui vient d’au-delà  de l’humain. Et ils refusent d’arrêter cet homme, d’enfermer cette Parole qui doit être libre de circuler. Et Nicodème les soutient. Alors oui, rentrons chez nous – c’est notre lieu d’intimité – mais avec un cœur bouleversé, prêts à entendre une parole qui change nos vies.

C’est ce que Jésus répond aux Grecs qui veulent le voir. Le matin même, ils l’ont vu entrer à Jérusalem, triomphalement accompagné d’une foule, rameaux en mains. Pressentent-ils que c’est l’heure de Jésus ? Sa mort, annoncée ici, semble imminente et se présente comme une révélation incontestable de son identité : « Jésus », c’est-à-dire « le Seigneur Sauve ». Si sa mort le glorifie, c’est parce qu’elle le révèle pleinement au monde. Pas seulement au peuple d’Israël, mais bien à tous les peuples de la terre. Par la mort du Fils, Dieu est allé aussi loin que possible pour s’approcher de nous. Un Dieu si humain nous semble tellement invraisemblable que nous peinons à y croire vraiment. Pourtant, malgré toute sa puissance, le monde ne peut se sauver lui-même. Oui, Dieu est bien le seul dont nous pouvons attendre le Salut.