Etre miséricordieux comme le Père, prodigue en pardon pour ses enfants égarés, semble impossible. Or, l’Ecriture dit : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Cor 4,7). Gratitude, surabondance de l’amour ! Si nous faisons un chemin de vérité, de confiance, pour accueillir la miséricorde du Père, nous recevons de Lui un cœur de miséricorde. Devenons ce que nous recevons. Pour cela, contemplons la Miséricorde faite chair, le Christ, notre Frère aîné, afin de marcher sur ses traces. Dans la pécheresse repentie qui baignait Ses pieds de larmes et de parfums, Il a discerné une femme saisie par la grâce et capable de Le suivre « jusqu’au bout du feu » (Fr Christophe). A Pierre qui l’avait renié, Il a offert une confiance totale. Nous aussi, regardons nos frères au-delà de leurs défaillances, jusque dans leur innocence cachée, que le Père connaît.

Permettez-moi d’évoquer saint Dominique, le fondateur de l’Ordre des Prêcheurs auquel nous appartenons comme moniales dominicaines. Les témoins racontent qu’il ne voulut pas être appelé autrement que « Frère Dominique ». Il partit à pieds sur les routes, abandonnant les richesses et les titres auxquels il pouvait prétendre. Frère Dominique choisit la pauvreté volontaire pour annoncer la Bonne Nouvelle et rencontrer l’autre comme un frère, alliant désir de fraternité universelle et simplicité évangélique, comme François d’Assise à la même époque. Oui, à la différence des scribes désignés par Jésus, nous pouvons dire et faire, prêcher par la parole et par la vie, en frères et sœurs, dépouillés de tout artifice. Enfants d’un même Père, le Christ Serviteur nous enseigne la véritable fraternité.

Dans cet évangile, Jésus évoque devant ses disciples le sort qui L’attend : la souffrance et la mort de la croix. Comment ne pas être scandalisé à la perspective du Juste livré à ce supplice cruel et infâmant réservé aux esclaves ? A vues humaines, on refuse cette abomination, et il nous faut parcourir avec Jésus ce chemin escarpé de la montée à Jérusalem. Contempler et méditer le mystère de la souffrance et de la croix, comprendre que c’est l’acte suprêmement libre du Fils, l’oblation du Serviteur à son Père. La victoire de Jésus sur la mort et sa gloire sont scellés dans cet abaissement ultime et le don volontaire de sa vie. Cet événement complètement paradoxal conduit, par-delà le désastre apparent, à la Résurrection du Christ, et ouvre tout grand la porte sur la vie éternelle. Nous ne mesurons pas de quel amour nous sommes aimés ! 

Dans cette parabole, l’abîme entre le riche et le pauvre Lazare a déjà été creusé de leur vivant. Quelles sont les richesses qui se dressent et se creusent entre nous, tels des murs infranchissables ou des abîmes sans fond ? L’avoir ? Le savoir ? Le pouvoir ? Quelles sont nos attitudes et comportements qui excluent et qui dominent, qui empêchent l’autre d’exister ? Nos aumônes même nous trahissent, car la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit, disait Fr Pedro Meca, un Dominicain qui travaillait avec les gens de la rue. Ah, nous savons très bien ce qui est le mieux pour les autres, et encore plus, pour les pauvres ! Nous décidons à leur place et les condamnons par des jugements réducteurs et préfabriqués. Arrêtons-nous, taisons-nous pour les écouter, arrêtons de creuser l’abîme avant qu’il ne soit trop tard. 

La parabole des « vignerons homicides » reprend un thème cher à l’Ancien Testament : Israël, peuple élu, est la vigne du Seigneur. Il en attendait de beaux raisins et le vin précieux de l’amour, mais son peuple s’est détourné vers les idoles. C’est pourquoi les grands prêtres et les pharisiens comprennent assez vite qu’ils sont visés par les paroles de Jésus. Et nous, qu’entendons-nous ? N’est-il pas temps de nous arrêter et de regarder la vigne qui nous est allouée ? Nous sommes attendus dans notre quotidien pour vivre dans l’amour, entés sur le Christ qui par sa mort et sa résurrection nous a greffés en Lui et a fait de nous des sarments. La nouveauté apportée par Jésus est bien là : il s’est fait vigne, pour que nous recevions de Lui l’amour avec lequel nous aimons et offrons de beaux fruits au Père.

Cette parabole, nous parle de l’histoire de l’humanité. Adam pécheur s’éloigne. Alors, au long des millénaires, au sommet des montagnes, au creux des vallées, sur les océans, retentit le cri du Père : « Adam, où es-tu ? » Et Il sort, brûlant ses yeux à force de scruter l’horizon, où Il espère voir poindre la silhouette de son petit. Enfin arrive le jour de la joie : Adam est de retour. Il s’incline devant son Père mais celui-ci le relève. Ce n’est pas à genoux qu’il veut voir son enfant, mais les yeux dans les yeux. Alors seulement s’ouvrent les yeux de l’enfant-Adam, et ils lisent l’amour du Père. Dieu a retrouvé l’homme, Adam a découvert son Père. Revêtu de la robe des noces, des sandales aux pieds et l’anneau à son doigt, cet Adam que nous sommes tous peut annoncer que la mort est vaincue définitivement.

Nous sommes ici au tout début de l’évangile de Jean. C’est la première fois que Jésus monte à Jérusalem et ce ne sera pas en toute discrétion. Pourtant, son geste provocateur ne semble pas déclencher d’affolement, mise à part la question qui revient sans cesse : « quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? ». Quelques versets avant, Jean-Baptiste l’avait désigné comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Aujourd’hui, l’Agneau de Dieu met dehors tous les animaux destinés à l’offrande car lui seul est la victime digne d’être offerte à son Père pour notre salut. Nous aussi, n'hésitons pas à faire un grand ménage de printemps pour orner notre cœur des plus belles fleurs et en faire un temple saint pour notre Dieu.