L’enseignement de Jésus, en ce début de carême, nous tourne résolument vers l’homme. Il nous invite à réfléchir sur le regard que nous posons sur nos frères. Merveilleux rappel du Christ qui nous amène à voir en tout homme, et plus particulièrement dans les plus pauvres et les plus humbles, la dignité même que Dieu leur confère. Le Christ s’identifie à chaque homme et il y établit sa demeure. Ainsi, chacun est un visage du Christ et est, de ce fait, infiniment précieux. Dès lors, notre regard de disciple du Christ nous engage sans cesse dans une conversion, toujours à reprendre. Nos actes, nos paroles, nos attitudes ne sont plus anodins, mais revêtent un poids d’Amour qui est le Christ lui-même. Oui, nos cheveux sont tous comptés et nous avons du prix aux yeux de notre Dieu. Cela change toute notre perspective et unifie notre vie en Celui qui en est la Source.

Le psaume de ce jour, si cher aux premiers chrétiens, nous offre une belle orientation pour le carême. Si nous sommes dans un temps de préparation à Pâques, de renouvellement de notre baptême, c’est bien pour être illuminés par le Christ et son Esprit. Au matin du monde, Dieu a créé l’homme par cette lumière, pour qu’il participe à la splendeur divine. Le Christ a déchiré le voile de ténèbres jeté par le péché, et la lumière pénètre à nouveau le cœur de l’homme. Le chemin est simple pour resplendir la beauté de Dieu : regarder vers lui, alors il guidera nos pas. L’incroyable prière que la liturgie nous offre aujourd’hui, le Notre Père, rend présente cette splendeur : nous pouvons appeler Notre Père, le Père des lumières ! Le carême est un chemin vers cette clarté.

Des signes : des hommes en cherchent toujours ! Des signes pour se dispenser de croire. Comme un raccourci ; ce serait tellement plus simple ! Mais les signes divins ne remplacent pas la foi, ils la supposent. Et s’il faut la foi pour les accueillir et les lire, il faut aussi notre conversion pour en vivre. Celle-ci est une mise en route. Comme la reine de Saba « est venue des extrémités de la terre » pour se laisser toucher par les paroles de sagesse de Salomon, mettons-nous nous aussi en marche ! Il nous faut nous déplacer pour nous laisser convertir, il faut sortir de nos habitudes. Nous n’allons pas parcourir les chemins de Galilée, comme les disciples du Christ ! Mais nous le suivrons sur les chemins intérieurs, grâce à l’Esprit, par qui il est présent en nous. Que ce carême soit donc l’occasion de marcher en sa compagnie, avec nos frères et sœurs en Eglise et en humanité. Bonne route !

Voici que Jésus donne à ses disciples la clef pour un bon carême. Point-là de ces privations à répétitions,  de ces efforts pénibles jusqu’à en soupirer, non, mais une promesse de bonnes choses à recevoir. Eh oui ! Notre Père du ciel attend de nous combler pour peu que nous le lui demandions.  Et Jésus, qui connaît parfaitement son  Père,  nous invite à intensifier notre relation avec lui au point de pouvoir tout lui demander. Il veut si ardemment le bien de ses enfants. Lorsque nous nous savons aimés de quelqu’un que nous aimons aussi,  nous lui partageons tout, lui donnant tout et lui demandant tout. N’est-ce pas là une bonne nouvelle en ce début de carême : vivre au diapason de l’amour ! Alors n’ayons pas peur de nos grands désirs, accueillons joies et peines qui nous arrivent de nos frères et soyons de bons intercesseurs.

Jésus ressemblerait-il à ces professeurs qui notent dans la marge du bulletin scolaire : "Peut faire mieux" ? Aujourd’hui, il nous conduit sur la montagne pour nous faire vivre à la hauteur de notre cœur. A la messe, à l’invitation du célébrant : Elevons notre cœur ! Nous répondons : Nous le tournons vers le Seigneur ! Et, en ce jour, Jésus nous enseigne que notre cœur tourné vers le Seigneur le sera en vérité s’il est aussi tourné vers nos frères, si comme une harpe (comme une kora !) nous sommes bien accordés. C’est dans ce retournement du cœur et ces relations renouées avec nos frères que nous réaliserons la parole de saint Jean : "Parce que nous aimons nos frères, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie." (1 Jn 3, 14) Alors nous marcherons déjà dans la lumière pascale. 

Phrase abrupte ? Ou phrase dite avec l’infinie tendresse de notre Père ? C’est un beau chemin de carême que de passer de l’une à l’autre perception. Abrupte, cette phrase l’est, sans nul doute, car il n’est pas facile d’aimer son ennemi. Mais il ne s’agit pas tant de ressentir de l’amour pour lui que de vouloir son bien. En avançant sur ce chemin, un jour nous parviendrons jusqu’au cœur du Père. Certaines réalités de la vie, peu graves, nous font cependant mal. C’est le moment d’acquérir l’habitude de prier pour celui qui nous a blessés. Dire pour lui un « Je vous salue Marie » aide à relativiser ; à entrer dans le regard que Dieu pose sur mon frère. Permettre à Dieu de murmurer en nous la phrase libératrice : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », fera scintiller le diamant de notre divinisation.

Jésus emmène ses disciples sur une haute montagne. Ils prennent de la hauteur dans les deux sens du terme, puisqu’ils vont être témoins d’une Epiphanie : La voix du Père, l’éclat du Fils et la nuée qui les prend au cœur de cette manifestation trinitaire. C’est pour eux que Jésus permet cet éclat de ciel, pour leur donner du courage pour les jours à venir. Ils voient un visage de Lumière, ils verront bientôt un visage défiguré. Ils voient une beauté infinie et ils pleureront devant l’échec apparent de Jésus, cloué sur une croix. Pour nous aussi c’est important sur notre route de Carême que nous gardions les yeux fixés sur la Gloire du Christ transfiguré. Lorsqu’arrivent des événements dans notre vie qui nous font perdre cœur et nous bouleversent, n’oublions pas qu’il a tout porté par amour pour nous. Bouleversante méthode divine pour nous sauver.