Après la multiplication des pains, la foule recherche avec enthousiasme Jésus qui vient combler toutes ses attentes politico-religieuses ! En lisant cet évangile au temps pascal, nous nous souvenons du triomphe des Rameaux, suivi par le terrible échec : Jésus crucifié comme le dernier des esclaves. Or, la veille, lors de la Cène, il a pris le pain et rendu grâce. Non plus pour multiplier le pain, mais pour offrir à tous le don de sa Vie. Il s’est « distribué » lui-même à la multitude comme l’unique Pain de Vie divine, qui procure la participation à l’Amour total et parfait de Dieu. La fraction du pain nous parle du Corps brisé puis ressuscité du Christ. Et en cheminant avec les disciples d’Emmaüs, c’est à ce signe que nous le reconnaissons dans la foi. Rendons grâce au Père de nous avoir donné ce Pain vivant : le Seigneur ressuscité.

Aucun signe, miracle, ne saura nous satisfaire ni donner la preuve que Jésus est Dieu. Jésus ne fera pas le signe que nous attendons, mais il est le signe. Il est le Pain vivant descendu du Ciel, bien supérieur à la manne que les Pères ont mangée dans le désert. Pourtant la manne était considérée comme le plus grand miracle de l’Ancien Testament. Le livre de la Sagesse la décrit comme le symbole même de la douceur de Dieu, capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts. Cette connaissance de Dieu est expérimentale, plus que raisonnable. La foi naît d’une rencontre avec le Christ qui nous ouvre à cette « capacité de Dieu » qui nous habite. Faits pour le Ciel, nous reconnaissons la nourriture du Royaume comme la vraie nourriture, celle qui seule peut nous donner la vie et nous rassasier de ses consolations.

Cette page d’évangile nous ramène à la foi, ce don mystérieux qui structure le profond de notre être. Cela paraît facile : une simple adhésion ! Mais le cœur de l’homme, inquiet de mille préoccupations, est-il encore disponible pour accueillir un tel cadeau ? Si c’est le cas, en qui place-t-il sa confiance ? A qui remet-il son existence ? Sans doute à lui-même d’abord, tant il est vrai qu’il est dans l’air du temps de tout prévoir, de tout maîtriser. Dès lors, faire confiance au Christ sans garantie, à vues humaines, devient le vrai défi ! Se décentrer de soi-même pour tourner son regard vers le Christ, reconnaître en lui le Fils du Père et faire le grand saut dans l’inconnu, sans autre filet de sécurité que la grâce de l’Esprit-Saint ! Il nous faut saisir cette parcelle d’éternité dont nous vivons déjà ici et maintenant.

Dans le Royaume, certaines réalités simples et ordinaires du quotidien révèlent souvent une face cachée qui nous surprend. Le pain fait partie de ces réalités-là. Dans les évangiles, celui-ci est multiplié, comme si le levain continuait son œuvre bien après que le pain ait levé ! Déjà dans la Genèse, lorsque Sara et Abraham reçoivent trois visiteurs mystérieux, Sara confectionne une quantité absolument démesurée de galettes. Le pain semble donc appelé à devenir déraisonnablement abondant ! En donnant le pain de sa chair, Jésus donne littéralement sa vie, et cette vie, tel le pain du Royaume, va se multiplier, car ce qui est donné ne peut que porter du fruit. Accueillir le pain de la vie du Christ, c’est accepter de donner notre vie à notre tour. N’en retenons rien, pas même une miette !

C’était trop peu de s’incarner, de prendre chair humaine et de marcher sur nos routes. Trop peu pour nous dire à quel point l’amour qu’il nous porte est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. L’amour de Dieu nous a été révélé par le don inestimable de Jésus sur la croix. A la Résurrection et au moment de quitter le monde pour retourner vers son Père à l’Ascension, il nous a donné son Esprit pour que nous vivions. En l’eucharistie, il nous offre sa présence chaque jour au cœur de notre chair. Par ce geste de manger son corps et de boire son sang, sa chair devient notre chair. Entendons bien ces mots : sa chair à lui vient transfigurer de l’intérieur notre vie, à tel point que nous entrons de plain-pied dans la vie éternelle. Quand nous venons communier, sa présence réelle vainc la mort, et celle-ci devient simple passage en Dieu Amour.

Voilà une parole grave. Elle résonne à notre conscience avec l’image des chrétiens qui s’éloignent du Christ en quittant silencieusement l’Eglise, et de ceux qui demandent à être « débaptisés ». Demande irréalisable – le baptême nous marque de façon irréversible – mais qui exprime une volonté  de rejet. Jésus nous demande ce que nous allons faire. Il s’adresse à notre liberté, ce qui est une bonne nouvelle. Jésus ne fait jamais pression, Il demande une adhésion du cœur et de l’intelligence. Il s’offre à nous. Accueillons-nous cette offrande en nous offrant à Lui ? Dans ce monde si difficile, nous ne pouvons être tièdes. Rester avec le Christ demande de cultiver notre foi, de vivre des sacrements et de l’amour fraternel, et surtout de prier. Ainsi trouverons-nous une assise, le vrai bonheur.

Quand on a la chance de vivre à la campagne avec de multiples animaux : chats, chiens, moutons, poules, lamas… on découvre combien ils sont sensibles à la voix de leur maître, de leur pasteur. Dès que sa voix retentit, leurs oreilles se dressent, s’orientent et ils se mettent à courir. Notre liberté est l’un des traits qui nous distingue des animaux, mais quand retentit la voix de l’unique Berger, quelque chose s’éveille en nous, qui est de l’ordre de la reconnaissance, non de la dépendance. Nous reconnaissons sa voix parce que c’est elle qui nous a créés. Elle est la voix de l’Amour qui, du fond des millénaires, nous rejoint et nous appelle à la vie. Cette voix est la même pour tous et pourtant chacun l’entend avec des harmoniques tellement personnelles ! Ouvrons grand nos oreilles. Aujourd’hui, cette voix appelle chacun par son nom.