Etonnante logique que celle de Jésus ! Bien loin de l’économie de marché ! Celui qui perd gagne et celui qui renonce à lui-même se trouve. C’est avec ce paradoxe que nous débutons le carême. Perdre sa vie en pure perte ? Perdre sa vie, volontairement, par amour, voilà qui change tout. Cela reste une folie : celle de Jésus en croix, remettant sa vie entre les mains du Père dans un don sans retour. Dans cette logique de l’amour, perdre sa vie c’est la donner et s’ouvrir à une vie nouvelle offerte par Dieu lui-même. Le programme de Jésus ? Perdre, se perdre pour mieux se trouver ou plutôt pour mieux être trouvé par Dieu et rendu à la joie de faire partie de tous ses enfants perdus et désormais retrouvés.

Les disciples sont-ils tellement relâchés qu’ils négligent les observances pratiquées avec zèle par leurs coreligionnaires ? Mais Jésus, loin de les blâmer, leur donne raison, car il attribue au jeûne un sens nouveau, lié à son propre mystère, le mystère pascal.  Dès ce début de carême nous entrevoyons le repas de la Cène où le « Christ-Epoux » se donne lui-même en nourriture avant d’être « arraché » aux siens. Alors, oui, ils prendront le deuil et jeûneront, jusqu’à la Résurrection où, de nouveau, ils s’abstiendront de jeûner pour célébrer sa Présence. Nous qui revivons chaque année liturgiquement la Pâque du Seigneur, nous goûtons sa « présence cachée qui nous rejoint dans l’Eucharistie. Elargissons de plus en plus l’espace de notre cœur à la mesure du festin du Royaume promis aux hommes de désir.

Des gens divers. Voilà ce que Jésus aime, rencontrer tous les êtres, venus de tous les lointains : les lointains géographiques, les lointains, plus séparant, des diverses opinions religieuses, les lointains des cœurs pécheurs… Il les rencontre tous, rassemblés pour fêter la vocation de Lévi.

Jésus regarde Lévi. L’appel qui traverse les siècles retentit : « Suis-moi. » Lévi, comme des millions d’hommes et de femmes après lui, se lève et suit Jésus. Alors la joie est possible, joie du rassemblement pour un festin.

En ce début de carême, nous voyons Jésus attablé pour un festin. Mais notre regard va plus loin dans le temps et dans le mystère, vers le repas de l’Eucharistie. Puis s’ouvre sur l’infini : le repas du festin du ciel, du Bonheur total dans la vision de Dieu.

Quelles perspectives ouvertes parce qu’un homme a dit « oui » au Christ !

Il arrive parfois que nous disions : « il ne faut pas tenter le diable ! ». Mais l’évangile de ce jour nous montre que c’est plutôt Dieu qui est tenté, et pas le diable. Quand tentons-nous Dieu ? Quand nous le voulons à notre image, quand nous attendons qu’il agisse comme une idole magique. Il est très surprenant de voir dans les évangiles comment Jésus a toujours refusé d’être un homme de pouvoir, un tout-puissant à la manière des chefs qui aiment être servis et avoir des esclaves à leurs pieds. Non, Jésus est venu annoncer le Royaume de Dieu, où les pauvres et les humiliés sont libérés et relevés. Entrons dans ce carême avec un ardent désir de connaître vraiment ce Dieu révélé en Jésus-Christ. Il ne transforme pas les pierres en pain, il donne son corps pour qu’il devienne le pain de Vie éternelle. Il ne saute pas du Temple, rattrapé in extremis par des anges pour nous en mettre plein la vue, il est élevé en croix et nous libère de la mort. Il ne fait pas de nous des esclaves en dominant sur nous, il nous donne la vraie liberté en faisant de nous des fils bien aimés du Père.